La Mens Rea Subjective en Matière de Fraude : l’Insouciance & l’Aveuglement Volontaire

La Mens Rea Subjective en Matière de Fraude : l’Insouciance & l’Aveuglement Volontaire

I. La Fraude

Les deux éléments essentiels de la fraude sont la malhonnêteté et la privation.

380. (1) Quiconque, par supercherie, mensonge ou autre moyen dolosif, constituant ou non un faux semblant au sens de la présente loi, frustre le public ou toute personne, déterminée ou non, de quelque bien, service, argent ou valeur :

(2) Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans quiconque, par supercherie, mensonge ou autre moyen dolosif, constituant ou non un faux semblant au sens de la présente loi, avec l’intention de frauder, influe sur la cote publique des stocks, actions, marchandises ou toute chose offerte en vente au public.

Les trois arrêts de la Cour Suprême établissant les éléments constitutif de la fraude sont R. v. Olan (1978), 41 C.C.C. (2d) 145 (S.C.C.); R. v. Théroux (1993), 79 C.C.C. (3d) 449 (S.C.C.); and R. v. Zlatic (1993), 79 C.C.C. (3d) 466 (S.C.C.). L’arrêt Olan a élargit l’interprétation de l’infraction de fraude et a indiqué  que la poursuite doit prouver qu’il y a eu privation malhonnête. Une perte pécuniaire réelle n’est pas un élément  essentiel de l’infraction. Zlatic et Theroux ont précisés les exigences de la mens rea requise pour l’infraction.

II. La Mens Rea – Aperçu General

La mens rea de la fraude est établie par la connaissance subjective de l’acte prohibée et la connaissance subjective que l’acte pourrait avoir comme conséquence une privation, dans le sens de causer une perte pécuniaire dans une propriété quelconque, ou en plaçant cet intérêt dans la propriété à risque.

La jurisprudence est à l’effet que l’actus reus de la fraude ne contienne pas un élément mental, à part le fait que l’acte doit être volontaire.

Le test pour déterminer la mens rea est subjectif, et non pas objectif. Dans l’arrêt R c. TFE Industries, 2009 NBCA 39 (CanLII) la cour d’appel du Nouveau Brunswick avait conclu qu’il était erroné de conclure qu’une société “aurait dû” être au courant d’un certain état de fait.

This brings me to the question of whether the test for mens rea is subjective or objective.  Most scholars and jurists agree that, leaving aside offences where the actus reus is negligence or inadvertence and offences of absolute liability, the test for mens rea is subjective.  The test is not whether a reasonable person would have foreseen the consequences of the prohibited act, but whether the accused subjectively appreciated those consequences at least as a possibility.  In applying the subjective test, the court looks to the accused’s intention and the facts as the accused believed them to be:

G. Williams, Textbook of Criminal Law (2nd ed. 1983), at pp. 727-28. [p. 18]

III. L’Insouciance

L’insouciance : « l’insouciance doit comporter un élément subjectif pour entrer dans la composition de la mens rea criminelle.  Cet élément se trouve dans l’attitude de celui qui, conscient que sa conduite risque d’engendrer le résultat prohibé par le droit criminel, persiste néanmoins malgré ce risque.  En d’autres termes, il s’agit de la conduite de celui qui voit le risque et prend une chance. »   (Sanregret c. R., 1985, 1 R.C.S. 570)

Le fait qu’une personne n’avait pas connaissance du caractère acte malhonnête de son geste et du risque de perte qu’elle aurait provoquée n’est pas nécessairement une défense pour une accusation de fraude.

Dans le contexte de  l’insouciance, ce qui vient typiquement à l’esprit est la notion de risque.

Dans l’arrêt Théroux, le juge McLachlin affirme que, face aux conséquences, l’insouciance constitue une mens rea suffisante pour fonder la culpabilité:

J’ai parlé de la connaissance des conséquences de l’acte frauduleux. Toutefois, rien ne parait s’opposer à ce que l’insouciance quant aux conséquences entraine également la responsabilité criminelle. L’insouciance présuppose la connaissance de la vraisemblance des conséquences prohibées. Elle est établie s’il est démontré que l’accusé, fort d’une telle connaissance, accomplit des actes qui risquent d’entrainer ces conséquences prohibées, tout en ne se souciant pas qu’elles s’ensuivent ou non (Théroux).

La distinction entre le jeu et la spéculation boursière est subtile et relève d’une appréciation morale de la conduite.

Il est important également de souligner que pour l’infraction de participation à une fraude via l’art 21(1) b du Code Criminel, la simple insouciance ne satisfait pas la mens rea requise. R c. Roach 2004 CanLII 59974 (ON CA)

Le problème du jeu compulsif

J’aimerais ouvrir une parenthèse et aborder le sujet du jeu compulsif. Je constate qu’il s’agit d’une problématique de plus en plus fréquent dans les dossiers de fraude.

Certains  juges continuent de considérer le jeu comme une forme de divertissement ou un type d’activité de luxe, entrainé par un choix volontaire de vouloir prendre un risque. La sensibilisation à cette problématique par la magistrature semble toutefois s’améliorer. Selon une étude Léger Marketing, 5 % de la population Québécoise admet avoir un problème de jeu compulsif.

Dans le cadre de l’imposition de la peine, un problème de jeu compulsif est maintenant souvent accepté comme un facteur atténuant, généralement ayant comme effet de réduire la sévérité de la peine imposée.

Une des plus grandes difficultés  cependant dans le contexte d’un problème de jeu est d’établir le lien entre la compulsion et le crime qui y résulte. La poursuite et parfois le tribunal peuvent parfois douter de la véracité d’une problématique de jeu compulsif compte tenu du fait qu’il s’agit souvent d’une explication provenant uniquement du défendeur.

Bien que certaines décisions acceptent la notion qu’un problème de jeu compulsif constitue une forme de maladie, jusqu’a présent, il apparait qu’un problème de jeu n’a pas été accepté comme défense dans le cadre d’une non-responsabilité criminelle en raison de troubles mentaux.

Une appréciation sérieuse de cette problématique fut abordée dans la décision de R c. Ruhl 2012 ONCJ 569 (CanLII) de la cour de l’Ontario.

Courts have considered such an addiction to be a serious one that requires intervention and as an addiction that can cause otherwise law abiding members of our community such as Ms. Ruhl to commit acts which they would not otherwise commit.

The courts on occasion have recognized this and granted conditional sentences even where significant amounts of money have been secured by theft or fraud while those accused were in positions of trust where a gambling addiction was evident.  (See Regina v. Corner, [2005] O.J. No. 3590,  Regina v. A.(J.), [2003] O.J. No. 2167, Regina v. Dinardo [2001] O.J. No. 2839,  Regina v. Dulmaje [2003] O.J. No. 3834.)  There are also cases involving similar activity and addiction where traditional periods of custody have been imposed. (See Regina v. Poutney, a decision of the Ontario Court of Appeal on July 17, 2006 upholding a sentencing imposed at trial on a bookkeeper who stole more than $300,000 from her employer over three years with a significant cause of the thefts being related to the appellant’s gambling addiction. Regina v. Toia (2007) (O.N.C.J.) 55, again an employee theft of some $300,000 over a period of five years with a gambling issue in place and a sentence imposed of 15 months imposed in a traditional setting.)

These and other cases indicate that a gambling addiction is an addiction like any other addiction.  It is an illness and effectively impairs one’s ability to make appropriate decisions and exercise what otherwise might have been good judgment. The extent of such addiction and the concern the public has with this issue is evidenced here by the counselling programs available and the fact that an in-patient rehabilitation program for pathological gamblers such as Ms. Ruhl is in place in a public hospital setting.

L’Aveuglement Volontaire

L’aveuglément volontaire est défini dans R c. Sansregret 1985 CanLII 79 (SCC)

L’ignorance volontaire diffère de l’insouciance parce que, alors que l’insouciance comporte la connaissance d’un danger ou d’un risque et la persistance dans une conduite qui engendre le risque que le résultat prohibé se produise, l’ignorance volontaire se produit lorsqu’une personne qui a ressenti le besoin de se renseigner refuse de le faire parce qu’elle ne veut pas connaître la vérité. Elle préfère rester dans l’ignorance. La culpabilité dans le cas d’insouciance se justifie par la prise de conscience du risque et par le fait d’agir malgré celuici, alors que dans le cas de l’ignorance volontaire elle se justifie par la faute que commet l’accusé en omettant délibérément de se renseigner lorsqu’il sait qu’il y a des motifs de le faire. Ces principes sont illustrés notamment par des arrêts comme R. v. Wretham (1971), 16 C.R.N.S. 124 (C.A. Ont.); R. v. Blondin (1970), 2 C.C.C. (2d) 118 (C.A.C.B.), pourvoi rejeté en cette Cour à (1971), 4 C.C.C. (2d) 566 (voir [1971] R.C.S. v, non publié); R. v. Currie (1975), 24 C.C.C. (2d) 292 (C.A. Ont.); R. v. McFall (1975), 26 C.C.C. (2d) 181 (C.A.C.B.); R. v. Aiello (1978), 38 C.C.C. (2d) 485 (C.A. Ont.); Roper v. Taylor’s Central Garages (Exeter), Ltd., [1951] 2 T.L.R. 284. La doctrine aborde également le sujet, particulièrement Glanville Williams (Criminal Law: The General Part, 2nd ed., 1961, aux pp. 157 à 160). Il affirme, à la p. 157:

                  [TRADUCTION]  La connaissance s’entend alors soit de la connaissance personnelle soit (comme dans les affaires relatives à des licences) de la connaissance présumée. Dans l’un ou l’autre cas, il y a quelqu’un qui a une connaissance réelle. Il y a une seule exception bien définie à l’exigence de la connaissance réelle. Les gens considèrent facilement leurs soupçons comme non fondés s’il y va de leur avantage. Face à cela, la règle veut que celui qui a des doutes, mais omet délibérément de se renseigner parce qu’il préfère demeurer dans l’ignorance, est présumé avoir connaissance.

Dans R c. Laronde, 2010 BCCA 430 (CanLII) la Cour d’Appel de la Colombie Britannique a réitérée le principe établie dans l’arrêt de la Cour d’appel du Québec, R c. Comtois Barbeau, 1996 CanLII 6391 (QC CA) soulignant que l’aveuglement volontaire doit être établie par le test subjectif.

Bien que le juge de première instance dans l’arrêt Laronde incorpore les principes établies dans R c. Sansregret dans son jugement, il fait néanmoins référence à ce que le défendeur “ aurait dû savoir ”sans toutefois articuler pourquoi il pensait que monsieur Laronde avait “connaissance réelle”.

Conclusion

L’appréciation de la mens rea en matière de fraude demeure relativement inchangé depuis les arrêts clés de la Cour Suprême ( Zlatic et Théroux) Les erreurs de droit constatés par le tribunaux supérieurs suggèrent qu’il n’est pas toujours facile de dissocier l’appréciation objective et subjective de la mens rea.

La portée de l’accusation de fraude semble graduellement s’élargir. Vu le degré de mens rea plutôt minimale, même une personne morale à titre d’exemple pourrait théoriquement être tenu criminellement responsable de fraude en raison d’aveuglement volontaire.

Le cas récent de l’omission, ou selon certaines prétentions, l’aveuglement volontaire, de la Banque Royale vis à vis les agissements de Earl Jones dans les comptes de clients, à entrainé à l’institution bancaire des condamnations à des amendes totalisant 700 000$. Ceci en vertu de dispositions pénales régies par l’Organisme Canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM)

Il faut certainement pas oublier qu’un autre moyen dolosif de la fraude constitue le silence ou l’omission, en autant qu’elle induit une personne raisonnable en erreur R. v. Emond 1997 CanLII 10605 (QC CA).

En raison du test subjectif qui exclu une responsabilité criminelle basée sur le test objectif  (l’aurait dû savoir) et un fardeau de preuve plus onéreux,  les intermédiaires et institutions financières sont jusqu’à présent à l’abri d’une poursuite criminelle découlant d’une fraude commise par un client envers un tiers. La voie des poursuites civiles et disciplinaires semble la plus fructueuse à l’heure actuelle. N’empêche que les personnes morales du secteur financier ont tout intérêt à  minimiser les chances de succès des transactions frauduleuses.

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